Aucun geste n’est plus emblématique du métier de vigneron que la taille de la vigne. Il faut admettre qu’il y a des raisons à cela, la plus évidente étant que ce geste initie un nouveau cycle agricole. Mais c’est surtout une pratique qui a deux objectifs : la structuration du cep de vigne et la gestion de la production.
La vigne est une plante pérenne c’est évident ; c’est pourquoi la taille doit prendre en compte l’évolution de l’architecture du pied sur les années à venir. Nous allons sélectionner les rameaux qui vont s’orienter sans trop de contrainte dans le palissage, essayer de maintenir une hauteur de pied conforme à notre système de palissage et repartir le feuillage et la production de façon régulière. A cela, il faut ajouter un concept trop souvent négligé : le respect des flux de sève. Dès la taille de formation, il est important de contraindre le moins possible les flux de xylème (les vaisseaux conducteurs de sève brute) qui alimenteront les feuilles et les grappes. Ce sont des objectifs qui se construisent sur le moyen terme et c’est finalement ce qui rends la taille de la vigne si intéressante : le tailleur doit comprendre le travail entrepris l’année précédente et laisser des indices de son projet aux tailleurs des années suivantes.
Au cours de la fin de l’été précédent, la taille a lieu l’induction florale ; au moment de la taille les ébauches de fleurs de vigne sont donc déjà formées. Nous avons donc un potentiel de production que nous allons patiemment essayés de préserver à partir de ce moment. Cette préservation commence par la recherche d’un équilibre de production qui consiste à ne pas exiger de la plante une charge supérieure à ce qu’elle peut supporter. Un excellent indicateur sera d’observer au moment de la taille la plante dépourvue de feuille et de chercher les éléments qui permettent d’évaluer sa vigueur. Le volume de végétation, est un excellent indicateur. Si la vigne n’a pas atteint le haut du palissage, ou au contraire si elle a été régulièrement rognée, nous en apprenons beaucoup. Mais à titre personnel, mon indicateur préféré reste le diamètre des sarments. On vise des sarments d’un diamètre proche d’une cigarette, des sarment plus gros montrent une vigueur un peu excessive et peut justifier une charge en bourgeons supérieure, là où des sarments plus frêles peuvent conduire à une charge plus modérée. Il ne faut pas craindre de limiter le nombre de bourgeons, une vigne qui doit assumer un trop grand nombre de bourgeons n’aura pas une floraison efficace, sera plus sensible aux épisodes de fortes chaleurs et le rendement sera forcément amputé par la suite.
Retenons qu’il est très compliqué d’augmenter sa production au moment de la taille. Si la production n’est pas régulièrement assurée pour des raisons de vigueur, il est plus sage de prendre du recul et de mettre en place un plan de moyen terme ayant pour objectif d’améliorer la vigueur à l’échelle de la parcelle. De la même façon, chercher à limiter le rendement par la taille montre rapidement ses limites ; il aura par la suite une compensation sur les autres composantes de rendement (par exemple la taille de la baie).
La taille, par sa symbolique et par l’intelligence et la finesse qu’elle nécessite, mérite amplement son statut de geste iconique du vigneron.