La véraison en Juillet
La campagne s’apaise, les derniers andains de paille sont récoltés et chargés dans les improbables amoncellements dont les Marocains ont le secret. L’odeur du grain mur s’estompe ; celle de la paille sèche est presque un souvenir.
C’est aussi la fin des cerises et des fruits rouges, mais la campagne des abricots et pèches bat son plein avec son cortège de samsar plus ou moins honnêtes. Bref, la campagne agricole de l’année devrait aller vers l’apaisement avant le second printemps du Maroc et ses semis.
Mais pas ici… La région de Zaër a su maintenir un héritage viticole. On l’appelait le petit Bordeaux autrefois et on y retrouve encore çà et là les témoins d’une époque passée, mais pas encore complètement révolue. Une église désacralisée en mairie, une coopérative a l’abandon ou le nom français d’un café jalonne cette terre au potentiel viticole remarquable qui, a travers les hommes qui la cultivent, a su garder en mémoire l’expertise vigneronne.
Zaër donc, au lieu de s’apaiser, commence à s’agiter : c’est la véraison. La saison ou les raisins commencent à se colorer et à accumuler des sucres. La véraison est aussi l’armistice de la guerre contre les maladies telle que le mildiou et l’oïdium. Cette guerre, nous finissons toujours par la gagner mais les plus belles campagnes sont celles où nous ne subissons pas de perte dans nos rangs de vignes. Cette année ce fut une victoire éclatante, l’ennemi s’étant replier tôt.
La véraison, c’est la saison ou les équilibres des vins se dessinent. Les sucres s’accumulent, certains acides brulent. Voilà une définition scolaire mais un peu courte de la véraison pour décrire le concret. Nous plantons des individus identiques, nous les traitons de la même manière et pourtant après quelque années, nous faisons face a une hétérogénéité incroyable.
Le climat Marocain nous aide d’autant moins que nous avons eu l’idée loufoque de délocaliser des cépages habituellement plus septentrionaux. C’est une des raisons qui peut expliquer l’opulence du vin marocain : difficile de récolter avant que toutes les grappes aient atteint un minimum de maturité. Ce minimum pour certain sera atteint quand d’autre auront un potentiel d’alcool très, trop, élevé. Certains cépages et certains terroirs vont accentuer ou au contraire limiter cette hétérogénéité.
Les lots plus homogènes, par exemple, entrerons plus régulièrement dans les cuvées M, mettant en valeur l’expression sans filtre du terroir ; là où, pour les cuvées Amal, la science de l’assemblage permettra de retrouver un vin équilibré à partir de lots aux faiblesses et aux vertus complémentaires.
C’est le défi de cette saison : suivre par l’échantillonnage, l’analyse et la dégustation de baies l’évolution de la maturité ; essayer de se faire une image réaliste de 100 000 pieds de vignes qui n’en font qu’à leur tête, tout en aillant conscience que nous n’avons que très peu de moyen d’action sur ce sujet. C’est bien là tout le sel d’un domaine producteur de vin au Maroc, d’alterner les moments où nous sommes acteur et gouverneur de notre échantillon de nature avec ceux où nous ne sommes que d’impuissants spectateurs ; bref éviter l’ingérable pour gérer l’inévitable.
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